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dimanche 10 mai 2020

1987 - ELMER LE REMUE-MÉNINGES

Brain Damage
de Frank Henenlotter (USA)
avec Gordon Mac Donald, Jennifer Lowry, Rick Hearst, Theo Barnes, Lucille Saint-Peter, Vicki Darnell, Joseph Gonzalez, Bradlee Rhodes

Fort du succès underground de son très étonnant Frère de Sang, Frank Hennelotter en reprend plusieurs éléments scénaristiques pour composer ce non moins surprenant Brain Damage, notamment l’idée d’un jeune protagoniste masculin et de ses rapports amour/haine avec un parasite monstrueux qui lui colle à la peau. Cette fois-ci, le cinéaste peut délaisser le format 16 mm au profit du 35 mmm, ce qui lui permet d’obtenir un rendu visuel moins granuleux que sur Frère de SangElmer est une bestiole échappant à toutes les normes zoologiques établies. Gros comme un chaton, il a vaguement la forme d’un étron pustuleux orné de deux petits yeux malicieux et d’une bouche carnivore capable de s’ouvrir démesurément pour révéler une impressionnante rangée de crocs, de crochets et d’aiguilles. 

Ce charmant animal de compagnie, qui aurait traversé les âges en passant entre les mains de plusieurs personnages historiques, a finalement échu chez un couple de vieux excentriques dans un appartement new-yorkais. Très attachés à lui, ces derniers écument les meilleures boucheries du quartier pour lui fournir sa pitance préférée : des cervelles bien dodues. Un jour, en quête de repas plus frais, Elmer s’échappe et s’installe chez leur voisin, le jeune Brian. Tous deux concluent un pacte tacite : Brian aide Elmer à trouver des victimes dont le cerveau est encore palpitant, et Elmer permet à Brian de vivre des trips bien plus enivrants que ceux que procurent les drogues traditionnelles. Car en plantant l’une de ses aiguilles bucales dans la nuque de Brian, Elmer distille directement dans son cerveau un étrange liquide bleuté et lui permet de vivre des moments hallucinatoires d’une incroyable intensité. Peu à peu, Brian a de sérieux remords et décide de cesser cette étrange association. A partir de là, évidemment, les choses se gâtent… 

Même s’il tente une satire acerbe de la drogue et de la jeunesse new-yorkaise paumée, Henenlotter semble surtout avoir conçu son film comme un défouloir, accumulant les séquences gore excessives. Notamment une fellation d’un genre très spécial où Elmer entre dans la bouche d’une jeune fille pour lui dévorer le cerveau (une séquence qui fut coupée pour l’exploitation du film sur grand écran et sa première sortie en vidéo, puis réintégrée par la suite), ou une scène onirique au cours de laquelle des litres de sang s’écoulent de l’oreille de Brian. Tour à tour marionnette mécanique ou figurine animée image par image, Elmer est la grande réussite du film, les acteurs humains qui lui donnent la réplique s’avérant, eux, plutôt catastrophiques. Elmer le Remue-Méninges est donc un OVNI, une curiosité mixant gore et burlesque, conforme au reste de l’œuvre de son atypique réalisateur. On pourrait presque évoquer un « Hennelotter Cinematic Universe », dans la mesure où Elmer et Frère de Sang semble se dérouler dans la même réalité, comme le confirme ce clin d’œil savoureux le temps d’une séquence où Brian croise dans le métro Duane Bradley (héros du film précédent) transportant son fameux panier d’osier !

© Gilles Penso
Thema: MUTATIONS

samedi 9 mai 2020

2018 - EN EAUX TROUBLES

The Meg
De John Turteltaub (USA)
Avec Jason Statham, Li Bingbing, Rainn Wilson, Ruby Rose, Winston Chao, Shuya Sophia Cai, Cliff Curtis

Jason Statham qui affronte un requin gros comme un building dans un mixage des Dents de la Mer et de Abyss tiré d’un best-seller des années 90. Comment ne pas être séduit par un tel concept ? Tous les clichés d’usage se bousculent joyeusement sans le moindre complexe, autour d’un motif scénaristique usé jusqu’à la corde : le héros dur à cuire qui, après un trauma exposé en début de film, coule des jours paisibles dans un coin exotique, loin de toutes responsabilités, mais accepte de reprendre du service lorsqu’il est le dernier espoir d’une mission quasi-impossible. Il s’agit en l’occurrence d’aller sauver son ex-femme et ses deux co-équipiers, coincés à l’intérieur de leur submersible dans des profondeurs insondables et menacés par une créature inconnue que notre héros, lui, a déjà affronté. À l’époque, personne ne croyait ce qu’il clamait à tue-tête à propos de ce monstre marin titanesque. Mais aujourd’hui, il faut bien se rendre à l’évidence : il avait raison. 

Il y a donc un peu de Moby Dick dans ce blockbuster composite aux allures de direct to vidéo au budget colossal. Par ailleurs, notre héros s’appelle Jonas, une petite allusion biblique pas très subtile mais assez drôle. Le monstre, lui, n’apparaît qu’au bout de 35 minutes, mais l’attente des spectateurs est franchement récompensée. Il s’agit d’un mégalodon (« meg » pour les intimes) de 25 mètres de long, qui traverse l’écran avec autant d’ampleur que le stardestroyer de Dark Vador. On croyait son espèce disparue depuis la préhistoire. Encore une fois, on se trompait. Peu avare en références, The Meg puise donc au passage quelques idées du côté de Jurassic Park. L’esprit de Michael Crichton n’est d’ailleurs pas loin au fil de ce récit mouvementé, la finesse et la rigueur scientifique en moins. Le T-rex était attiré par le bruit ? Qu’à cela ne tienne : le mégalodon l’est par la lumière et les vibrations (une idée pas plus absurde qu’une autre dans le monde du silence). D’où quelques moments de suspense intéressants construits autour de ce postulat bien pratique pour des scénaristes en totale roue libre. 

Dans ces abysses inexplorées, d’autres créatures étranges évoluent sous les yeux ébahis des protagonistes et des spectateurs, comme un calamar géant digne de 20 000 Lieues sous les mers. Désireux de multiplier les images iconiques mémorables – toujours bienvenues pour alimenter efficacement les bandes annonces – le film de John Turteltaub nous offre la vision très impressionnante d’une fillette dans une station océanographique qui, devant une grande baie vitrée, fait face à la gueule démesurée du monstre, ou cette scène d’attaque sur une plage chinoise bondée qui donne au film les allures d’un Dents de la Mer gonflé aux hormones. 

Les séquences d’action survitaminées, la romance improbable, la violence soft, le sens du sacrifice sont au menu de The Meg, qui s’agrémente en outre de dialogues plein de lyrisme. Nos favoris ? « L’homme contre le meg, c’est pas une bataille, c’est un carnage », « il y a un monstre, et il nous regarde », « il n’est pas question que je me fasse bouffer par un poisson préhistorique », « prends ça dans les dents, saloperie de charogne », ou encore le très poétique « t’es peut être un fils de pute mais t’es pas un trouillard. » Nous ne sommes pas loin de la verve des Serpents dans l'avion, ce qui permet de situer assez justement les ambitions du film.

© Gilles Penso

vendredi 8 mai 2020

1942 - LE SPECTRE DE FRANKENSTEIN

The Ghost of Frankenstein
de Erle C. Kenton (USA)
avec Lon Chaney Jr, Bela Lugosi, Lionel Atwill, Sir Cedric Hardwicke, Evelyn Ankers, Dwight Frye, Ralph Bellamy

A la fin du Fils de Frankenstein, le monstre incarné par Boris Karloff était précipité dans un puits de souffre en fusion et le sinistre bossu Ygor (Bela Lugosi) passait de mort à trépas. Comment produire une séquelle dans de telles circonstances ? Pas d’inquiétude : tout ce beau monde se retrouve sain et sauf – au mépris de la logique la plus élémentaire - dans ce Spectre de Frankenstein rocambolesque. Souhaitant en découdre une bonne fois pour toutes avec la malédiction du savant et de son monstre, les habitants du village de Frankenstein dynamitent son château, avec l’aval d’un maire qui ne pense qu’à sa réélection, et malgré les gravats jetés du haut des tours par un Ygor en pleine forme se prenant par Quasimodo. 

Le château (une très belle maquette) explose donc, mais des débris émerge bientôt une main qui projette son ombre gigantesque sur le mur face à Ygor : celle du monstre. Ce qui nous laisse imaginer que ce bon vieux docteur Frankenstein n’a pas seulement trouvé le moyen de ranimer les morts mais a également percé le secret de la vie éternelle. Comment expliquer autrement les résurrections successives d’une créature décidément indestructible ? Préservé par le souffre, le monstre s’échappe avec Ygor avant la destruction totale du château. Dans les bois, il est frappé par la foudre, qui semble soudain raviver ses forces. « Frankenstein était ton père, mais la foudre était ta mère ! » s’exclame alors Ygor. Ce dernier n’a désormais qu’une idée en tête : faire transplanter son cerveau dans le corps du monstre. Dans ce but, il contacte le docteur Theodore Bohmer (Lionel Atwill, qui fut l’inspecteur de police manchot du film précédent), adjoint et rival du fils cadet du célèbre savant, lequel est interprété par Sir Cedric Hardwicke et répond au doux nom de Ludwig Von Frankenstein. 

Au moment de lancer ce quatrième opus de la saga Frankenstein, Universal se heurte à un problème épineux :  Boris Karloff refuse de jouer à nouveau le rôle de la créature dans ce quatrième opus, déçu par la tournure que prend le personnage. Le studio décide alors de le remplacer par Lon Chaney Jr, promu star de l'épouvante depuis ses rôles monstrueux dans Le Loup-Garou et La Tombe de la Momie. Le visage de Chaney, rondouillard et un brin empâté, laisse moins transparaître que Karloff la détresse et la candeur du monstre, même si Jack Pierce lui applique un maquillage identique à celui des trois films précédents. C'est la preuve irréfutable que le succès du design d'une telle créature repose autant sur le talent du maquilleur que sur l'incarnation du comédien. En ce sens, le travail conjoint - et quasiment fusionnel - de Pierce et Karloff reste à ce jour imbattable.

Au détour du casting, on note la présence de Dwight Frye, ex-assistant bossu de Frankenstein dans le tout premier film de la série, devenu ici chef de village. Alors que le second fils de Frankenstein souhaite détruire le monstre en le démembrant, le fantôme de son père lui apparaît dans une scène surprenante (ce qui justifie le titre du film) et lui demande de poursuivre ses travaux. Ludwig envisage alors de doter la créature du cerveau du docteur Kellerman, l’une des victimes du monstre, mais c'est finalement la cervelle d’Ygor qui atterrira dans le crâne de la créature. La transplantation est une réussite exemplaire, mais les effets secondaires ne tardent pas à se manifester et à précipiter la chute du monstre et l'incontournable brasier purificateur… Jusqu'au prochain épisode, bien sûr.

© Gilles Penso
Thema: FRANKENSTEIN

jeudi 7 mai 2020

1999 - SLEEPY HOLLOW, LA LÉGENDE DU CAVALIER SANS TÊTE

Sleepy Hollow
de Tim Burton (USA)
avec Johnny Depp, Christina Ricci, Miranda Richardson, Michael Gambon, Casper Van Dien, Lisa Marie, Christopher Lee

Créateur des effets spéciaux de maquillage de La Revanche de FreddyJeu d'Enfant et Les Contes de la Crypte, Kevin Yagher développe à la fin des années 90 le projet d’un film qui s’inspirerait de la nouvelle « La Légende du Val Dormant » écrite en 1820 par Washington Irving. Il co-écrit donc un scénario avec l’aide du futur auteur de Seven Andrew Kevin Walker et fait le tour des studios hollywoodiens, en vain. Personne ne semble s’intéresser à ce cavalier fantôme sans tête jusqu’à ce que Tim Burton ait vent du projet. Après avoir assisté impuissant au massacre de la franchise Batman par Joel Schumacher et avoir tenté en vain de porter à l’écran une aventure inédite de Superman avec Nicolas Cage, Burton cherche à retrouver ses amours premières. Il voit dans Sleepy Hollow la possibilité de réaliser son premier vrai film d’horreur tout en rendant hommage aux classiques de l’épouvante produits par la compagnie britannique Hammer dans les années 60, ainsi qu’à d’autres œuvres phares de la même époque comme Le Masque du Démon de Mario Bava. Kevin Yagher reste rattaché au projet en tant que créateur des maquillages spéciaux et co-producteur. Un autre nom prestigieux vient compléter l’équipe de production : Francis Ford Coppola. 

Le récit démarre dans le New York de 1799. Johnny Depp incarne Ichabod Crane, un inspecteur de police en bute à l’autorité car les méthodes d’enquête utilisées par ses pairs lui semblent archaïques et dépassées. Gêné par cet individu embarrassant, un juge austère  (Christopher Lee) décide d’envoyer Crane enquêter dans le petit village de Sleepy Hollow, frappé par trois meurtres successifs. Toutes les victimes ont été décapitées et leurs têtes ayant disparu. La légende locale affirme que le coupable est le « Cavalier sans tête ». Missionné pour maintenir le peuple américain sous le joug de l’empire britannique, ce mercenaire sanguinaire aux dents taillées en pointe fut décapité et enterré par des soldats au cours de l’hiver 1779. Mais désormais, on murmure que son fantôme erre dans les bois. Bien sûr, notre policier n’apporte aucune foi à ces racontars. Mais la suite des événements va mettre à mal son cartésianisme et son approche scientifique. A travers son antagoniste spectral incarné par Christopher Walken, Tim Burton construit des séquences parfois assez éprouvantes, comme lorsque le monstre vient décapiter un couple et leur jeune enfant à coup de hache ! Le film s’avère d’ailleurs particulièrement sanglant, multipliant les gros plans de têtes coupées, les bras tranchés, les corps empalés et les morts violentes. En d’autres moments, les visions d’horreur sont burlesques, comme cette sorcière qui hurle et dont les yeux sortent des orbites (équivalent numérique des trucages en stop-motion de Pee-Wee et Beetlejuice). Même s’il n’est pas spécialement à l’aise avec les séquences d’action, Burton parvient à concocter quelques poursuites très mouvementées au cours desquelles chevaux et carrioles filent à vive allure dans les bois nocturnes et embrumés. 

Du côté du casting, quelques nouveaux visages viennent intégrer l’univers du cinéaste, notamment Christina Ricci (que Burton décrit comme un croisement entre Peter Lorre et Bette Davis !) et Casper Van Dien (tout juste échappé de Starship Troopers et de Tarzan et la Cité Perdue). Mais le cinéaste aime aussi retrouver ses fidèles comédiens, offrant une apparition en forme de clin d’œil à Martin Landau et à Lisa Marie et proposant une fois de plus le rôle principal à Johnny Depp. « Pour moi, le seul vrai ingrédient indispensable aux films de Tim Burton est Tim Burton lui-même », avoue le comédien. « Peu importent le casting ou l’équipe. La signature de Tim est toujours là. » (1) Loin de la naïveté et de la candeur des personnages qu’il incarnait dans Edward aux Mains d'Argent et Ed Wood, Depp se prête ici aux facéties d’un personnage dont le fort potentiel comique ne semble pas totalement assumé. Pas assez drôle pour susciter le rire, trop exubérant pour être pris au sérieux, son Ichabod Crane devient agaçant sans vraiment susciter l’identification des spectateurs. Le scénario s’encombre en outre d’une quantité astronomique de dialogues explicatifs qui n’en finissent plus de justifier les faits et gestes des personnages et de commenter tous les rebondissements de l’intrigue. 

C’est donc sur l’aspect purement visuel que le film se rattrape, Sleepy Hollow se distinguant par la qualité de sa mise en forme, sa somptueuse atmosphère gothique, sa très belle photographie aux tons désaturés et ses décors tourmentés. « Construire un décor de cinéma a quelque chose de magique, notamment lorsqu’on joue avec de fausses perspectives, comme dans Sleepy Hollow », témoigne Tim Burton. « Certains arbres d’arrière-plans étaient conçus à des échelles de plus en plus réduites, pour accentuer l’effet de profondeur. D’autres avaient des formes de personnages effrayants. » (2) Une grande partie de ce rendu visuel est à mettre au crédit du directeur artistique Rick Heinrichs, dont le défi consiste ici à détourner les codes du style expressionniste pour les adapter à un environnement colonial. On se souviendra notamment de ce superbe arbre des morts qui saigne quand on l’entaille et sous l’écorce duquel sont cachées toutes les têtes coupées ou de ce grand moulin décrépit qui se réfère au Frankenstein de James Whale. 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2008
(2) Propos recueillis par votre serviteur en mars 2012

© Gilles Penso
Thema: FANTÔMES

1956 - L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES

Invasion of the Body Snatchers

de Don Siegel (USA)
avec Kevin McCarthy, King Donovan, Dana Wynter, Larry Gates, Carolyn Jones, Ralph Dumke, Jean Willes, Virginia Christie

Deux médecins sont déconcertés par d'étranges évènements se produisant dans leur ville de Santa Mira, en Californie. Certains de leurs patients ne reconnaissent plus leurs proches parents. Après la découverte du corps de leur ami Jack dont le visage est inachevé, les deux médecins doivent se rendre à l’évidence : la ville est envahie par des extra-terrestres qui imitent l’apparence humaine. Il est difficile de ne pas lire en filigrane de ce récit – et du roman de Jack Finney dont il s’inspire – une parabole de l’invasion communiste telle que la craignait l’Amérique des années 50. 

Cette paranoïa très populaire à l’époque, selon laquelle les « rouges » tenteraient de polluer insidieusement les esprits jusqu’à modifier le comportement des gens, pouvait-elle trouver meilleure métaphore que ces aliens végétaux se déguisant sous les traits de nos semblables pour mieux nous envahir de l’intérieur ? Finney a toujours rejeté les accusations d’anticommunisme dont son livre fut l’objet. Lucide, le réalisateur Don Siegel s’attendait lui aussi à une lecture de son film sous un prisme politique. Il s’efforça donc autant que possible d’évacuer tout caractère idéologique pour se concentrer sur l’argument de science-fiction lui-même et sur la tension extrême qu’il génère. De ce point de vue, L’Invasion des Profanateurs de Sépultures est une réussite exemplaire. 

Tourné en moins de vingt jours, selon un planning serré et avec un rythme soutenu, le film communique au public ce sentiment d’urgence permanent et suscite une empathie désespérée avec Miles Bennell, campé par un Kevin McCarthy habité par son rôle. Les traits de plus en plus défaits, le regard fou, le visage déformé par des gros plans fortement contrastés, il lutte contre le sommeil qui le transformerait lui aussi en créature sans âme, en coquille vidé errant sans but sur une planète devenue terre d’asile de zombies n’ayant plus d’humains que l’apparence. « Sleep no more ! » (« Ne dormez plus ! ») : cette phrase en forme d’avertissement qui faillit être le titre du film, peut se lire au second degré comme une invitation à rester en éveil pour ne pas se plier à un conformisme privant l’individu de son libre-arbitre et se marginalité. La phrase sera reprise telle quelle dans Les Griffes de la Nuit par un Wes Craven tout à fait conscient de son double sens. 

L’une des scènes les plus mémorables de L’Invasion des Profanateurs de Sépultures est justement celle où Miles s’apprête à embrasser sa bien-aimée pour réaliser avec horreur que sa réaction est dénuée de la moindre émotion. Plus de passion, plus de colère, plus d’étincelle… Le film aurait dû s’achever sur un ultime sursaut pessimiste, McCarthy, hagard sur l’autoroute, se tournant vers la caméra en hurlant : « vous êtes le prochain ! ». Mais les producteurs, rétifs à cette noirceur sans appel, imposèrent à Don Siegel un flash-back apaisant très discutable – et très peu cohérent. Philosophe, Siegel en fera une boutade, affirmant que les cosses extraterrestres ne symbolisent définitivement pas la menace communiste mais l’uniformisation imposée par les cadres des studios hollywoodiens.

© Gilles Penso

1984 - GREYSTOKE, LA LÉGENDE DE TARZAN

Greystoke, the Legend of Tarzan Lord of the Apes
de Hugh Hudson (GB)
avec Christophe Lambert, Andie MacDowell, Ian Holm, Ralph Richardson, James Fox, Cheryl Campbell, Ian Charleson

Jusqu’au début des années 80, le personnage de Tarzan était indissociable de Johnny Weissmüller, poussant son inimitable cri en se balançant de liane en liane, affrontant des crocodiles en caoutchouc à coup de couteau, séduisant la belle Jane en peaux de bêtes affriolantes et jouant avec son inséparable chimpanzé Cheetah. Lorsque les mentalités se modifièrent et que l’Afrique échappa à l’imagerie d’Epinal véhiculée par les colons britanniques, le mythe de Tarzan perdit de sa saveur… Jusqu’à sa résurrection flamboyante dans Greystoke, un magnifique plaidoyer opposant une nature sensible à une civilisation hypocrite. 

Artisans de cette renaissance, le scénariste Robert Towne (Chinatown) et le réalisateur Hugh Hudson (Les Chariots de Feu) prirent le parti d’un réalisme absolu, en opposition aux aventures fantastico-épiques des films précédents. L’intrigue prend place en 1886. Suite à un naufrage, Lord John Clayton et son épouse Alice trouvent refuge au beau milieu de la jungle africaine, où ils se bâtissent une cabane précaire. En donnant naissance à son fils, Alice succombe, et John est tué peu après en affrontant un singe agressif. Le bébé est dès lors recueilli par une peuplade de chimpanzés qui l’élève comme l’un des leurs. Vingt ans plus tard, le capitaine Philippe d’Arnot, membre d’une expédition zoologique en grande partie décimée par une attaque de pygmées, découvre cet homme élevé parmi les singes. Reconnaissant en lui le fils de feu John Clayton, il le convainc de le suivre jusqu’en Angleterre. Là, l’homme-singe fait la connaissance de son grand père excentrique, Lord Greystoke, et de sa délicieuse cousine Jane… 

Le film aborde ainsi le célèbre mythe sous l’angle de la satire sociale, peignant un portrait vitriolé de l’aristocratie britannique colonialiste du 19ème siècle. Le plus savoureux, en la matière, est la capacité d’adaptation de l’homme sauvage à cette société précieuse et ampoulée. Il lui suffit pour cela d’utiliser les dons de mimétisme qu’il a appris parmi les singes, preuve que le nouveau monde qu’il découvre n’est fait que d’apparats et de simulacres. Une grande partie de la réussite de Greystoke repose sur son casting éblouissant. Aux côtés des interprétations délectables de Sir Ralph Richardson (vénérable sorcier dans Le Dragon du Lac de Feu) et Ian Holm (futur Bilbo du Seigneur des Anneaux), on découvre deux visages alors inconnus : Christophe Lambert, époustouflant en homme-animal pris entre deux mondes antithétiques, et Andie MacDowell, dont les sourires radieux exhalent une sensualité indicible. Le pied à l’étrier, tous deux poursuivront d’importantes carrières internationales, mais ils ne retrouveront que rarement l’intensité des rôles qu’ils jouèrent dans cette œuvre-phare. 

Le film bénéficie aussi des créations incroyables du maquilleur Rick Baker, concevant les faux singes les plus réalistes de l’histoire du cinéma (il se surpassera lui-même à l’occasion de Gorilles dans la brume). La partition pleine d’emphase de John Scott, les magnifiques extérieurs africains mis en lumière par John Alcott et le déchirant dénouement achèvent de porter aux nues ce Greystoke, qui bouleversa à tout jamais la légende imaginée par Edgar Rice Burroughs.

© Gilles Penso

2002 - AUSTIN POWERS DANS GOLDMEMBER

Austin Powers in Goldmember
de Jay Roach (USA)
avec Mike Myers, Beyoncé Knowles, Seth Green, Michael York, Robert Wagner, Mindy Sterling, Verne Troyer, Michael Caine

C’était à craindre : la mayonnaise ne peut pas prendre à tous les coups. Après un premier épisode savoureux et une séquelle hilarante, la franchise Austin Powers s’épuise avec ce troisième volet en sérieuse perte de vitesse. Plus vraiment d’histoire, pas beaucoup de rythme, bon nombre de gags repris littéralement aux deux films précédents… Tel est le triste constat de ce Goldmember. Pourtant, ce ne sont pas les bonnes idées qui manquent, et une poignée de scènes prodigieuses font encore mouche. 

C’est le cas de ce prégénérique démentiel parodiant les films d’espionnage des années 2000 (les James Bond avec Pierce Brosnan, bien sûr, mais aussi les Mission Impossible et les Charlie’s Angels). Ce prologue s’avère être un extrait de « Austinpussy », un film hollywoodien censé adapter les aventures d’Austin Powers, d’où l’impressionnante intervention de guest stars de luxe (Tom Cruise dans le rôle de Powers, Kevin Spacey dans celui du docteur Denfert, Danny de Vito en Mini-Me, Gwyneth Paltrow sous la défroque de la plantureuse Dixie Nomous et Steven Spielberg derrière la caméra !). Nous découvrons ensuite les « vrais » Denfert et Mini-Me qui s’évadent de la prison où ils croupissaient pour faire équipe avec Goldmember, un mégalomane hollandais hideux qui s’inspire évidemment du personnage incarné par Gert Froebe dans Goldfinger. C’est Mike Myers qui incarne ce nouveau vilain pittoresque, ajoutant ainsi un quatrième personnage à son palmarès. Pour pouvoir dominer le monde, ils utilisent une machine à voyager dans le temps et kidnappent Nigel Powers, le propre père d’Austin. 

L’une des idées géniales du film est de donner ce rôle à Michael Caine, héros de films d’espionnages anglais musclés dans les années 70, qui se parodie lui-même avec une bonne humeur communicative. Autre joie du casting : la présence de la chanteuse Beyoncé Knowles dans le rôle de l’inspecteur Foxxy Cleopatra (hommage aux héroïnes que Pam Grier incarna en pleine vogue de la blaxploitation), avec qui Austin Powers fait équipe après avoir remonté le temps jusqu’en 1975. Véritable révélation de Goldmember, Beyoncé crève l’écran dès sa première apparition en entonnant la chanson du titre, excellent mixage de plusieurs tubes funky des seventies. 

Malheureusement, toutes ces trouvailles, au lieu de servir un scénario digne de ce nom, ne font que s’additionner sans rigueur et perdent ainsi beaucoup de leur impact. Du coup, même si quelques gags font encore mouche (les élucubrations grotesques de Goldmemeber, la scène des câbles avec Gras-Double, les sous-titres chez l’industriel japonais, la séquence du Manneken-Pis, la parodie de clip de rap avec Dr Evil et Mini-Me en prison), le résultat reste très en deçà des deux précédents épisodes. On note que le montage initial de Jay Roach durait trois bonnes heures. Pour ramener le film à une durée plus raisonnable de 95 minutes, le réalisateur a dû expurger bon nombre de séquences, notamment une apparition de Heather Graham (héroïne du film précédent), plusieurs numéros musicaux et même une allusion au Bateau de Wolfgang Petersen.

© Gilles Penso

mercredi 6 mai 2020

1956 - LA MAUVAISE GRAINE

The Bad Seed

de Mervyn LeRoy (USA)
avec Patty McCormack, Nancy Kelly, Henry Jones, William Hopper, Eileen Heckart, Jesse White, Evelyn Varden

Tiré de la pièce de théâtre homonyme de Maxwell Anderson, La Mauvaise Graine est le mètre étalon du film mettant en scène un enfant maléfique, la référence indiscutable en la matière. « Pour la petite Rhoda, le meurtre est un jeu d’enfant » déclarait l’affiche de l’époque, annonçant ainsi la couleur. Fille du respectable colonel Kenneth Penmark et de la douce et pédagogue Christine, Rhoda est une gamine de huit ans qui présente toutes les caractéristiques de l’enfant modèle. Polie, intelligente, bonne élève, coiffée de nattes et vêtue de jolies robes printanières, elle fait la fierté de son entourage. La gardienne Monica, notamment, se laisse tant attendrir par Rhoda qu’elle la gâte sans vergogne. 

Mais très tôt, on sent bien que quelque chose cloche. Les premiers indices nous sont livrés par la partition d’Alex North, qui tisse autour de la comptine « Au clair de la lune » d’inquiétantes variations. Christine elle-même nourrit un étrange pressentiment sans pouvoir le définir clairement. Le drame se noue au cours d’un pique-nique pour enfants. Claude, un petit garçon de huit ans, y meurt noyé. La thèse de l’accident est adoptée à l’unanimité, mais certains détails s’avèrent troublants. Notamment la médaille d’or de dissertation, que portait le malheureux et qui a disparu. Une médaille que convoitait ardemment Rhoda. Au fond d’elle, Christine sait l’atroce vérité : sa petite fille a frappé Claude à coups de pieds et l’a noyé elle-même ! Mais aucune preuve ne vient confirmer cette hypothèse, et Rhoda échafaude des mensonges à la perfection. 

Seul Leroy, homme à tout faire simple d’esprit, a tout de suite vu clair dans le jeu de la tueuse en jupette. « Elle peut bien se faire admirer et adorer par tout le monde, avec ses airs d’ange descendu sur la Terre », marmonne-t-il. « Mais avec moi ça ne prend pas ! » Plus l’intrigue avance, plus l’angoisse grandit, d’autant que Rhoda semble avoir déjà assassiné par le passé une vieille voisine afin de récupérer une boule de cristal. La jeune « héroïne » personnifie ainsi le caprice poussé à son paroxysme. Un terrible secret de famille vient bientôt porter un semblant d’explication, posant en substance la question de l’origine du mal. Est-il héréditaire ou contextuel ? Inné ou acquis ? 

Passionnant d’un bout à l’autre, doté d’une écriture excellente et d’acteurs forts convaincants, La Mauvaise Graine souffre en revanche d’une mise en scène excessivement académique, n’osant jamais trahir le matériau théâtral initial au point de privilégier à outrance les plans-séquence statiques, les cadres larges et les dialogues démonstratifs. Mervyn LeRoy assure ainsi le service minimum, et l’on rêve de ce qu’un Alfred Hitchcock ou un Orson Welles auraient pu tirer d’un tel récit. Autre regret : un dénouement bizarre qui multiplie les rebondissements vaudevillesques avant d’asséner au public une chute moralisatrice de fort mauvais aloi. A vrai dire, le film aurait gagné à s’arrêter une séquence plus tôt. Malgré ces réserves, La Mauvaise Graine mérite pleinement son statut de classique et engendra une effrayante descendance de têtes blondes homicides.

© Gilles Penso
Thema: ENFANTS

2012 - DRACULA 3D

de Dario Argento (Italie)
Avec Thomas Kretschmann, Asia Argento, Rutger Hauer, Marta Gastini, Unax Ugalde, Miriam Giovanelli

Dario Argento aux commandes d’une énième version de Dracula vendue principalement sur ses effets 3D ? Il y avait de quoi s’inquiéter. Car le maestro est tombé bien bas depuis la fin des années 90, signant des œuvres de plus en plus mineures malgré quelques rares coups d’éclat (Le Sang des Innocents par exemple). Dès le générique de Dracula 3D, nos craintes semblent se confirmer. L’image numérique signée Lucianio Tovoli (franchement peu esthétique) et la musique excessive de Claudio Simonetti (avec des passages au thérémin qui évoquent presque le cinéma d’Ed Wood) ne laissent rien présager de bon. 

Le film s'ouvre sur les ébats amoureux de Milos (Christian Burruano) et Tania (Miriam Giovanelli) dans une grange, une nuit d’orage (la « nuit de Walpurgis » qui effraie visiblement tous les superstitieux de la région). Quand elle rentre chez elle, la jeune femme est attaquée dans les bois par un hibou vampire qui la mord au cou ! Car le Dracula d’Argento ne cesse de se transformer au cours du film, par l’entremise de trucages numériques pas vraiment convaincants. Passe encore lorsque le comte vampire se mue en loup, mais que dire de sa métamorphose en nuée de mouches ou en mante religieuse géante ? L’intrigue retrouve les grandes lignes du récit de Bram Stoker, avec l’arrivée de Jonathan Harker (Unax Ugalde) dans le village de Passburg pour officier comme bibliothécaire au service de Dracula, sur les recommandations de Lucy Kisslinger (Asia Argento), puis le surgissement d’un Renfield dément (Giovanni Franzoni) qui tue un villageois en lui plantant une pelle dans la tête et arrache l’oreille d’un autre à coups de dents, et enfin l’arrivée très tardive (au bout d’une heure dix de métrage) d’un Rutger Hauer fatigué dans le rôle du chasseur de vampires Abraham Van Helsing. 

Sous la cape d’un Dracula plus en retenue qu’à l’accoutumée, Thomas Kretschmann propose une prestation plutôt intéressante. Mais les pouvoirs de super-héros dont Argento l’affuble le privent de la moindre crédibilité. Comme dans cette scène bizarre où le vampire intervient au milieu d’une réunion de notables du village qui désirent briser le pacte qu’ils ont conclu avec lui. Il se déplace soudain en accéléré comme Flash. Puis des griffes à la Wolverine poussent sur ses doigts, avec lesquelles il égorge un homme et en décapite un autre. Il arrache ensuite la gorge d’un troisième à coups de dents, et plante une épée dans le corps d’un quatrième. Quant au cinquième, il retourne son propre pistolet contre lui-même et se tire une balle dans la tête. 

On aurait rêvé que le Dario Argento baroque des années 70/80, celui de Suspiria et Inferno, s’empare d’un tel sujet pour le transcender. Mais le cinéaste se contente d’une image froide et d’une mise en scène distanciée, privilégiant les plans larges théâtraux, comme s’il ne parvenait pas à s’impliquer pleinement dans le film, signant une mise en forme proche de celle des téléfilms des années 90. Et lorsque le sang jaillit à l'écran, le cinéaste se sent obligé d'appuyer chaque effet par des trucages numériques, amenuisant l'impact des scènes horrifiques de son film au point de les doter d’une imagerie aseptisée de jeu vidéo.

© Gilles Penso
Théma: DRACULAVAMPIRES

mardi 5 mai 2020

1955 - LE RETOUR DE GODZILLA

Gojira no Gyakushy
De Motoyoshi Odo (Japon)
Avec Hiroshi Koizumi, Setsuo Wakayama, Mindru Chiaki, Yukio Kasama, Takashi Shimura, Mayuri Mokusho

L’intrigue de cette séquelle immédiate de Godzilla, mise en production dans l’urgence suite au succès inespéré du premier opus, démarre sans s’embarrasser de long prologue. Deux jeune pilotes au service d'une compagnie d'exportation de poisson y survolent la mer. Alors qu'ils scrutent les eaux, à la recherche de nouveaux bancs de thons, l’un d’eux est frappé par une avarie en plein vol et se pose d’urgence sur une île inhabitée. Tandis que son collègue vient à son secours, les deux aviateurs aperçoivent deux énormes monstres préhistoriques qui s’affrontent sauvagement. Le gigantisme de ces bêtes en noir et blanc, dont l’échine reptilienne se découpe derrière de massifs rochers, évoque les pugilats du classique Tumak fils de la jungle qui inspira dès sa sortie en 1940 moult films d’aventure préhistoriques à travers le monde. Sans doute le cinéaste Motoyoshi Odo se laissa-t-il lui aussi influencer par le mélodrame antédiluvien de Hal Roach. 

Lorsque les deux pilotes parviennent à s’échapper et à prévenir les autorités d’Osaka, la communauté scientifique se met en branle et cherche à trouver une explication rationnelle au phénomène. « Les essais nucléaires ont fait sortir de leur tanière Godzilla et un Anguillosaurus communément appelé Anguilas » dit un savant. Et d’enchaîner sur des explications paléontologiques fantaisistes. En effet, l’anguillosaurus est une invention pure, le monstre en question ressemblant à une sorte d’ankylosaure (dinosaure cuirassé du Crétacé) doté ici d’une mâchoire carnivore. Pour expliquer le retour de Godzilla, réduit à l’état de squelette à la fin du premier film, les éminents experts trouvent une explication bien commode : il s’agit d’un second spécimen de la même espèce. Alors qu’une candide romance s’esquisse entre l’un des aviateurs et une standardiste, l’armée s’apprête à passer à l’action. Le film nous offre alors une séquence de suspense très efficace au cours de laquelle tous les habitants de la ville d’Osaka sont sommés de respecter un black-out pour que Godzilla ne soit pas attiré par les lumières de la ville et s’éloigne de la baie. Mais lorsque des prisonniers s’évadent et provoquent par mégarde une immense explosion, la ruse échoue et Godzilla surgit, provoquant une belle scène nocturne d’acharnement inutile de l’artillerie contre sa cuirasse atomique, Anguillas se joignant bientôt à l’échauffourée. 

Alors que le premier Godzilla utilisait abondamment les effets de ralenti pour évoquer les proportions titanesques de son dinosaure, Le Retour de Godzilla emploie curieusement des mouvements accélérés. Ces derniers auraient été obtenus accidentellement suite à une erreur du caméraman, mais le superviseur des effets visuel Eiji Tsuburaya apprécia le résultat (qui lui rappela sans doute les animations en stop-motion de King Kong) et le conserva. A vrai dire l’effet obtenu est plutôt intéressant, même si parfois la rapidité des gestes prend une tournure presque comique, d’autant qu’Anguillas est un quadrupède assez pataud. Tsuburaya multiplie les tableaux de destructions très spectaculaires et nous gratifie notamment d’une impressionnante séquence d’inondation du métro. Comme dans le premier Godzilla, c’est le sens du sacrifice d’un homme vaillant et désintéressé qui permettra de venir à bout de la créature, celle-ci achevant l’aventure ensevelie sous une avalanche de glace.

© Gilles Penso
Thema: DINOSAURES
Saga: Godzilla

1973 - LA MONTAGNE SACRÉE

The Holy Mountain
D’Alejandro Jodorowsky (Mexique / Etats-Unis)
Avec Alejandro Jodorowsky, Horacio Salinas, Ramona Saunders, Juan Ferrara, Adriana Page, Burt Kleiner, Valerie Jodorowsky

Dire qu’Alejandro Jodorowsky est un cinéaste atypique est le plus doux des euphémismes. En s’attaquant à La Montagne Sacrée, il décida de lui donner l’ampleur d’un évangile et, pour trouver l’inspiration, fit un périple de quarante jours à travers les villages du Mexique, chaque halte lui permettant d’écrire une scène de son scénario. La première partie du film est une collection d’images surréalistes parfois drôles, parfois horribles, souvent absurdes et grotesques. Pêle-mêle, un homme au visage couvert d’insectes, un vieillard qui ôte un œil de verre de son orbite pour l’offrir à une petite fille, des caméléons costumés en conquistadors qui escaladent une maquette de cité aztèque, une colombe qui s’envole du corps d’un fusillé s’enchaînent à l’écran. On se croirait dans un mixage entre Un Chien Andalou et Salo ou les 120 Journées de Sodome

Le héros est un voleur aux allures de Jésus qui erre au milieu de centaines de statues grandeur nature à son effigie puis escalade un tour immense avant de se retrouver nez à nez avec un étrange alchimiste incarné par Jodorowsky lui-même, friand de dialogues abscons (« la force dont a besoin le vautour pour s’agripper au bœuf est vitale au bœuf pour supporter le vautour »). Le délire surréaliste continue, de l’hippopotame qui prend son bain dans une fontaine aux excréments qui se transforment en or. Au bout d’une heure de métrage, le propos du cinéaste s’éclaircit enfin, à la faveur de la présentation de sept extra-terrestres. A travers leurs propos caricaturaux, la satire sociale prend corps. 

Le Vénusien est un chef d’entreprise qui entretient le culte de l’apparence en fabriquant des masques pour les humains ; la Martienne vend des armes à la mode (fusils psychédéliques, colliers de grenades, armes adaptées à toutes les religions) ; le Jupitérien tient une galerie d’art et a inventé une machine à orgasme ; la Saturnienne fabrique des jouets guerriers pour conditionner les enfants dès la naissance à haïr leurs ennemis futurs ; l’Uranien est conseiller du président et lui propose de tuer quatre millions de personnes pour sauver l’économie du pays ; le Neptunien est un chef de police qui, dans une tenue SM pré-Mad Max, émascule sur la place publique les condamnés ; le Plutonien est architecte et propose des cercueils monoplaces pour tous… Au cours de la dernière partie du film, le surréalisme et le cynisme s’évaporent au profit du mysticisme, tout ce beau monde partant en quête de l’immortalité au sommet d’une montagne sacrée. 

Véritable patchwork des obsessions de Jodorowsky, de son attirance pour les freaks (le personnage sans bras ni jambes qui accompagne le voleur en rampant pathétiquement, la trompettiste cul de jatte, le nain sans bras qui hurle), de son goût pour l’horreur (l’homme nu recouvert de tarentules) et la comédie (son personnage éclate de rire à la fin, comme si tout n’était qu’une blague), La Montagne Sacrée est parfaitement inclassable et hors norme. Le film bénéficie pourtant de moyens très importants, de décors immenses et de figurations souvent impressionnantes, Jodorowsky ayant eu accès à une aide financière non négligeable de la part de John Lennon et Yoko Ono, alors en pleine période psychédélique.

© Gilles Penso

1968 - ROSEMARY'S BABY

de Roman Polanski (USA)
Avec Mia Farrow, John Cassavetes, Ruth Gordon, Sidney Blackmer, Maurice Evans, Ralph Bellamy, Victoria Vetri

Une berceuse envoûtante susurrée par la voix frêle de Mia Farrow, tandis que défile le paysage familier des toits de Manhattan : c’est ainsi que Roman Polanski décide de faire commencer Rosemary’s Baby, prenant à revers les spectateurs habitués aux codes traditionnels du cinéma d’horreur. Le parti pris est d’autant plus étonnant que William Castle, producteur du film, s’est justement spécialisé dans l’épouvante récréative bardée de gadgets et de facéties spectaculaires (La Nuit de tous les Mystères, Le Désosseur de cadavres, 13 Ghosts). Mais Polanski veut conserver l’approche réaliste qu'avait choisie l’écrivain Ira Levin dans son roman « Un bébé pour Rosemary ». 

Pour son premier film hollywoodien, le cinéaste casse donc les mécanismes du genre en inscrivant le thème classique et archaïque de la sorcellerie et de l’adoration du diable dans un contexte contemporain et ordinaire. Rosemary et Guy Woodhouse (Mia Farrow et John Cassavetes) emménagent dans un cinq pièces au Bradford, en plein cœur de New York. Ils n’accordent que peu de crédit aux propos de Hutch (Maurice Evans), un ami de Rosemary, déclarant que l'immeuble est maudit, marqué par la magie noire. Selon lui, le sinistre sorcier Marcato y habita et les sœurs Trench y pratiquèrent des sacrifices immondes. La tension monte cependant d’un cran lorsqu’une jeune fille se jette par la fenêtre, peu de temps après l’installation du couple. La malheureuse était adoptée par les Castevet (Ruth Gordon et Sidney Blackmer), des voisins un peu trop affectifs et envahissants. Peut-être est-ce le fruit de l’imagination de Rosemary, mais le comportement de Guy semble changer. Et puis une nuit, sans préavis, il lui fait un enfant pendant qu'elle dort. Dès lors, Rosemary voit son sommeil envahi par des rêves inquiétants…

Très apprécié par Ira Levin, qui le considère comme la meilleure adaptation d’un roman jamais produite par Hollywood, Rosemary's Baby distille une terreur pernicieuse dans la mesure où, jusqu'au dénouement, le spectateur ne sait jamais vraiment si les craintes de Rosemary sont fondées ou s'il ne s'agit que d'une paranoïa engendrée par une série de faits inquiétants. Une secte diabolique sévit-elle vraiment dans le New York de 1968, ou tout se passe-t-il dans la tête de cette jeune femme tourmentée ? Cette angoisse indicible est transmise au spectateur par une mise en scène spontanée jouant le jeu du naturalisme (Polanski improvise plusieurs séquences, caméra au poing, ou ne donne pas toutes les informations à ses comédiens pour que leurs réactions soient crédibles) et par le jeu fragile de Mia Farrow. C’est à travers ses yeux que le spectateur vit les événements, forcé malgré lui de se laisser contaminer par les frayeurs de Rosemary. 

La musique de Krzysztof Komeda entretient ce climat malsain que le cinéaste commença à bâtir dans Répulsion et qu’il allait poursuivre avec Le Locataire, Rosemary’s Baby se positionnant comme le volet central d’une « trilogie de l’enfermement » (le huis-clos de l’appartement étant bien sûr la métaphore de celui de l’esprit). Entrée dans la légende, la séquence finale a ceci de fascinant qu’elle pousse très loin le pouvoir d’autosuggestion des spectateurs. Aujourd’hui encore, combien d’entre eux sont-ils persuadés d’avoir vu de leurs propres yeux les traits diaboliques du bébé de Rosemary ?

© Gilles Penso

lundi 4 mai 2020

2016 - MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS

Miss Peregrine's Home for Peculiar Children
de Tim Burton (USA)
avec Asa Butterfield, Eva Green, Terence Stamp, Samuel L. Jackson, Ella Purnell, Cameron King, Lauren McCrostie,

Sorti en librairie en été 2011, le roman « Miss Peregrine et les Enfants Particuliers » s’est hissé en tête des ventes, remportant un succès colossal que son auteur Ransom Rigg n’imaginait sans doute pas. Très vite, le studio 20th Century Fox acquiert les droits d’adaptation du livre et propose à Tim Burton d’en signer la réalisation. Le ton du roman est assombri, le prologue empruntant son atmosphère et ses effets au cinéma d’horreur : un passant aux yeux blanc qui surgit soudain d’une nappe de brouillard, un vieil homme dont les yeux ont été arrachés, un gigantesque monstre sans visage qui émerge des bois nocturnes… Cette noirceur s’accommode avec la vision très personnelle que Tim Burton a des contes de fées et de l’imaginaire des enfants. « J’essaie toujours de faire des films personnels, même s’ils sont tirés d’autres œuvres », nous explique le cinéaste. « Finalement, le cinéma est une forme de thérapie qui coûte très cher ! » (1)

Le jeune héros du film, Jake (Asa Butterfield), est bercé depuis son enfance par les récits fascinants de son grand-père Abe (Terence Stamp). Abe prétend avoir vécu dans les années 40 sur une île du pays de Galle, Cairnholm, au milieu d’enfants différents des autres, sous la direction d’une gouvernante nommée Miss Peregrine. Sans doute ces enfants étaient-ils cachés pour fuir les nazis qui envahissaient alors la Pologne. Mais Abe affirme que ses camarades avaient tous des pouvoirs surnaturels, qu’ils cherchaient à échapper à des monstres tentaculaires sans yeux et que Miss Peregrine avait le pouvoir de se transformer en faucon. Après la mort de son grand-père, Jake veut aller visiter cette fameuse île, démarche qu’approuve sa psychiatre pour l’aider à séparer la réalité du fantasme. Là, il découvre les ruines du pensionnat, détruit par un bombardement le 3 septembre 1943. Personne n’a survécu au désastre. Pourtant, il existe une boucle temporelle dans laquelle Miss Peregrine et tous les enfants particuliers vivent toujours. Or Jake parvient à entrer dans cette boucle…

C’est avec subtilité que Miss Peregrine et les Enfants Particuliers fait glisser ses spectateurs de la banalité vers la fantasmagorie, facilitant notre entrée dans ce pensionnat d’un autre âge où Eva Green, dans un rôle bien plus positif que celui de la sorcière de Dark Shadows, veille sur de bien étranges bambins. Emma pèse le poids d’une plume, Millard est un garçon invisible, Olive contrôle le feu, Fiona fait surgir les légumes de la terre, Enoch donne vie aux choses inanimées, Bronwyn a une force herculéenne, Hugh crache des abeilles, Claire a une gueule carnassière derrière la tête, Horace projette l’image de ses rêves… Tous ces enfants et cette école spéciale nous font penser à une version années 40 des X-Men dont Peregrine serait l’équivalent du professeur Xavier. Une scène très étonnante montre la remise à zéro de la boucle temporelle qui protège tout ce beau monde : les bombardiers allemands survolent le pensionnat une nuit d’averse, puis l’action se rembobine et la journée recommence. Cette boucle permet aux protégés de Miss Peregrine d’échapper à la menace des Faucheurs, d’anciens enfants particuliers qui, menés par le maléfique Barron (Samuel L. Jackson), se sont mués en abominables monstres sans yeux en cherchant à atteindre l’immortalité.

Le casting disparate du film est dominé par le charisme du tout jeune Asa Butterfield qui, avec son regard clair, sa tignasse brune et son visage d’adolescent trop sérieux, aurait été un Peter Parker formidable (il fut pressenti pour jouer Spider-Man dans Captain America : Civil War). Avec une mère inexistante et un père maladroit, son personnage se réfugie naturellement auprès de son grand-père. Le parallèle avec Tim Burton (« enfant particulier » par excellence) saute aux yeux, ce dernier ayant préféré vivre avec sa grand-mère dès l’âge de dix ans à cause d’une mésentente avec ses parents. Miss Peregrine et les Enfants Particuliers regorge de belles séquences surréalistes, comme le plongeon dans l’épave du navire, Emma qui flotte au bout d’une ficelle comme un cerf volant ou le surgissement du vieux navire à la surface des flots. Toujours prêt à rendre hommage à Ray Harryhausen, Tim Burton utilise la stop-motion pour animer les combats de pantins monstrueux et hybrides qu’Enoch s’amuse à organiser. Et pour ceux qui n’auraient pas saisi l’allusion, le cinéaste orchestre une bataille délirante au milieu d’une fête foraine entre quatre Faucheurs et une armée de squelettes qui semblent tout droit échappés de Jason et les Argonautes. Car chez Burton, le passé revient toujours hanter le présent.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mars 2012.

© Gilles Penso