de James Cameron (Etats-Unis)
avec Sam Worthington, Zoe Saldana, Sigourney Weaver, Stephen Lang, Michelle Rodriguez, Giovanni Ribisi, Joel David
Moore
LA CRITIQUE POUR
Au cours des douze ans qui séparent Avatar de Titanic, James Cameron s’est penché sur les dernières avancées technologiques en matière de capture de performance d’acteurs, de caméras virtuelles et de prises de vues en relief. Ce titanesque travail préparatoire est extrêmement payant, comme en atteste le résultat à l’écran. Mais avant d’être une réussite technique, Avatar est un rêve devenu réalité pour tous les amateurs purs et durs de science-fiction. Ces planètes sauvages et lointaines, ces créatures extra-terrestres aux morphologies surprenantes, ces machines guerrières et futuristes, toutes ces icônes chères aux couvertures colorées des pulps des années 50 et 60 prennent vie à l’écran avec une vivacité et un pouvoir évocateur proprement étourdissants. « Avatar est la concrétisation de tous les univers fantastiques que j’imaginais lorsque, enfant, je dévorais des romans de science-fiction », raconte Cameron. (1)
Au-delà des monstres et des vaisseaux, des images de synthèse criantes de réalisme et des effets en relief extrêmement performants, Avatar conte une aventure humaine, chargée en émotions exacerbées et portée par un casting exceptionnel. Les humains ayant progressivement épuisé toutes les ressources de la Terre, ils convoitent le précieux minerai qu’abrite la planète Pandora. Mais son extraction est compromise dans la mesure où les habitants locaux, les Na’vis, refusent qu’on abatte le moindre arbre de leur forêt. Jake Sully (Sam Worthington), ex-militaire paraplégique, accepte de participer à une mission d’infiltration. Allongé dans un caisson étanche, il « téléguidera » à distance un avatar, autrement dit un corps conçu génétiquement à l’aide de cellules Na’vi… « Lorsque vous supprimez l’environnement, votre imagination reconstruit l’espace », explique Zoé Saldana à propos des séances de « performance capture » qui l’ont transformée en la belle indigène Neytiri. « Nous étions comme des enfants s’amusant dans un lieu virtuel. » (2) « Dans un tel espace, notre confiance est mise en avant », ajoute Sam Worthington. « On doit croire à nos personnages, et James Cameron met tout en œuvre pour que ce soit possible. » (3)
Œuvre somme, Avatar exacerbe les thématiques et les figures stylistiques propres à l’univers de James Cameron. Attiré par les personnages féminins forts et déterminés, il réserve ici une place de choix au docteur Grace (Sigourney Weaver) et à l’indigène Neytiri (Zoe Saldana), toutes deux « accouchant » quasiment du héros que Jake Sully s’apprête à devenir. Fasciné par les engins futuristes, il filme avec un enthousiasme communicatif des armadas de vaisseaux, véhicules, robots et exo-squelettes aux designs remarquables. Féru de science, il crée une surprenante analogie entre le monde sauvage de Pandora et un réseau informatique, chaque être vivant animal ou végétal étant capable de se connecter aux autres par l’entremise de cordons naturels pour pouvoir télécharger des données. Quant à la couleur bleue qui nimbe chacune de ses œuvres, elle s’installe ici sur l’épiderme des Na’vis avec un naturel désarmant.
Parallèlement, Cameron continue à développer la complexe relation d’amour/haine qui le lie aux machines, éléments récurrents de son cinéma. Tout autant séduit qu’effrayé par le Terminator ou le Titanic (dans les rouages desquels les hommes finissent par périr à petit feu), il prend ici ouvertement la défense de la Nature contre les engins destructeurs des hommes, quitte à chagriner les esprits cyniques peu sensibles au discours environnemental et anti-colonialiste. A la fois œuvre humaniste, pamphlet écologique, film de guerre, fable de science-fiction et love story, Avatar est un chef d’œuvre de plus à porter à l’actif de James Cameron, l’un des réalisateurs les plus ingénieux et les plus audacieux de ces vingt-cinq dernières années.
(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2009
© Gilles Penso
LA CRITIQUE CONTRE
Depuis Titanic,
ce vers quoi tendait James Cameron depuis longtemps s'est mué en
systématisme effectif et
programmé : il faut à tout prix que son nouvel opus soit « le plus
grand film de tous les temps ». Formule bien naïve, mais assénée à coups
de promotion pachydermique et soutenue
par l'ampleur des moyens mis en œuvre : que vous le vouliez ou non,
vous connaîtrez tous les aspects techniques du film avant de savoir de
quoi ce dernier parle réellement ! C'est dans
ce climat de révolution technique autoproclamée qu'émerge Avatar, fort d'une amélioration conséquente dans la pratique du cinéma en relief. Son
succès minimisera quelque peu les avancées effectuées plus tôt par Peter Jackson concernant la performance capture, et occultera carrément le travail de Robert Zemeckis dont les
expérimentations génésiques (Le Pôle Express, Beowulf...) auront essuyé tous les plâtres.
Est-ce à dire qu'Avatar
se contente d'être un dépliant touristique pour mordus de CGI ? Non.
Cameron est un auteur
possédant son propre style et ses obsessions. Fasciné par l'idée du
contrôle absolu, inspiré en ce sens par les figures tutélaires de George
Lucas et Stanley Kubrick, il propose avec
Avatar son film le plus « lucasien ». Une démarche
visible sur la forme (univers foisonnant ; technologie de pointe) mais
aussi thématiquement (brassage historique
et mythologique pour tisser un drame dantesque ; schémas narratifs
antiques et exigences du cinéma expérimental convergeant dans le
maelström du grand spectacle populaire...). Toutefois, à
l'étude complexe d'un réseau de trajectoires humaines menée par
Lucas, répond par opposition le lyrisme simple et immédiat des figures
qui s'affrontent chez Cameron.
Et l'ennui, c'est que malgré la richesse bien réelle du monde de Pandora, la synthèse opérée dans Avatar
ne décolle jamais
vraiment. D'une part on a l'impression que l'entreprise titanesque
sous-tendue par le projet rend son réalisateur excessivement frileux sur
le plan narratif, et que son principal souci est de ne
surtout froisser personne, quitte à abuser du manichéisme et à
enfoncer des portes ouvertes afin de s'assurer le succès économique – ce
qui donne lieu à un plaidoyer écologique évidemment
inattaquable, puisqu'aucune réflexion ne l'entoure et que son seul
opposant dans le film se trouve être un militaire facho qui combine à
peu près toutes les tares du bad guy
lambda.
D'autre part le travail de compilation effectué par Cameron se répand par maladresse en un fond idéologique douteux qui
parasite son discours pourtant louable : en mixant le schéma déjà utilisé par Danse avec les Loups
avec la figure archétypale du Messie, Cameron compose une sorte de
western
où les indiens triomphent (jouissif !) mais leur donne pour héros et
sauveur... un envahisseur repenti ! Dépossédant ainsi les autochtones
de leur victoire et de leur identité
spécifique, le cinéaste nous engage moins à nous inspirer du
panthéisme Na'vi qu'à croire dans la simple rédemption lorsqu'on ira
ravager une terre étrangère... Il ne tiendrait qu'à lui d'être
plus vigilant sur cet aspect pour que la suite d'Avatar soit une réussite totale. On pourrait même rêver que Cameron refasse un tour du côté des ambitions plus restreintes
d'un Terminator,
où
son budget moindre le dispensait de formater autant son propos. Mais
qui pense encore que le nabab hollywoodien, prisonnier d'une course à
la surenchère qu'il a lui-même voulue, peut ne serait-ce
qu'imaginer le retour à un format si modeste... ?
© Morgan Iadakan

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